Travaux synthèse

Note de l’auteure à propos des Travaux synthèse:
Ces textes se veulent des outils pour stimuler la recherche de sens chez le lecteur. Ils représentent une partie de l'argumentation théorique qui sous-tend les documents de 'vulgarisation' et les divers outils offerts aux membres de gestuellementale.com. Ils ne sont pas exhaustifs. Le lecteur est incité à référer à l’ouvrage complet au besoin, les pages de référence étant fréquemment précisées dans les textes. Toutefois, comme l'illustrent les témoignages et commentaires reçus en Consultation privée et aux Ateliers, formations et conférences, il n'est pas nécessaire de saisir tous les fondements de la 'gestion mentale' pour se sensibiliser à la 'gestuelle mentale' et obtenir des résultats notables. D.L.

RÉSUMÉ DE PÉDAGOGIE DES MOYENS D’APPRENDRE

par Diane Larivière

Les enseignants face aux profils d'apprentissage
Éd.Le Centurion, Collection Paidoguides, 1982

Il n'est pas facile de faire le résumé d'un livre de M. Antoine de La Garanderie. Pleines de nuances qui sont pertinentes, rigoureuses et difficilement contournables, ses idées-maîtresses semblent déjà synthétisées. Aussi, ce travail est complété par des Extraits choisis qui présentent, à différents niveaux, la théorie que M. de La Garanderie explicite dans son ouvrage Pédagogie des moyens d'apprendre.

Dans Les profils pédagogiques, il nous avait entretenu plus spécifiquement de la nature des images mentales. Succintement, on pourrait dire que ces dernières sont la matière propre de la pédagogie, car sans évocations, il ne peut y avoir d'apprentissage. C'est le traitement mental des objets de perception - ce que le sujet fait émerger dans sa tête- qui importe, beaucoup plus que la qualité de la présentation perceptive. Une des principales tâches de l'enseignant sera donc d'inciter l'élève à introspecter son traitement mental.

Dans Pédagogie des moyens d'apprendre, Antoine de La Garanderie s'attache à nous décrire les modes d'emploi de ces images, à nous donner la description des gestes mentaux à accomplir. Il convie les enseignants à transmettre ces définitions à leurs élèves. La tâche du pédagogue devient alors plus axée sur les moyens à donner aux élèves pour réussir les différentes tâches attendues de lui dans les diverses matières scolaires que sur le contenu. Dans ce livre, M. de La Garanderie définit la structure de trois gestes mentaux: l'attention, la mémorisation et la réflexion.

À la lumière de l'analyse de l'acte d'attention, soupesant le rôle de la distraction, vérifiant que l'intérêt n'est pas une condition suffisante et nécessaire garantissant l'attention, Antoine de La Garanderie est arrivé à définir l'attention comme la capacité de mettre en place des évocations le plus près possible de l'objet perçu. Dans ce livre, on retrouve des exemples concrets tirés du vécu scolaire qui représentent bien cette définition.

Son questionnement auprès de nombreux sujets de provenance et d'âge différents, lui permet de définir la mémorisation comme le pouvoir d'installer dans l'avenir quelque chose que je sais pouvoir retenir. Le chapitre consacré à la mémorisation explique bien le rôle joué par l'imaginaire d'avenir dans le geste de mémorisation. Les analyses de cas présentées sont suffisamment développées pour permettre de comprendre les solutions pédagogiques proposées par M. de La Garanderie.

La description de la réflexion a évolué avec le travail de M. de La Garanderie sur les deux autres gestes mentaux: la compréhension et l'imagination créatrice. Il la définit maintenant comme l'interaction entre un évoqué qui vient de l'information et un deuxième évoqué (essentiel) qui vient de la mémorisation.

Bien sûr, ces définitions sont le fruit d'un long travail. Le livre Pédagogie des moyens d'apprendre témoigne du cheminement de M. de La Garanderie pour décrire trois des cinq gestes mentaux. Il les analyse, décrit leur structure, les illustre par des mises en pratique et entrevoit les difficultés possibles. L’enseignant qui lit ce livre découvre les mots pour dire. Dire à l'élève par quel projet il doit être habité dans telle situation d'apprentissage. Dire à l'élève la structure de projet de sens pour chacun des gestes mentaux à accomplir.

Pour le geste de réflexion. Un enseignant décrit à l'élève ce qu'il doit faire pour réfléchir. Avec des mots adaptés au niveau cet élève, il lui propose de confronter les évocations issues des données d'un problème à ses acquis. Ces évocations s'orienteront soit vers les moyens, soit vers la solution. En se sensibilisant et en prenant conscience de la gestuelle mentale, l'enseignant parviendra à décrire les structures de la réflexion. Toutefois, nous précisons que pour pouvoir poser le geste de réflexion, l'élève doit être en projet de mobiliser les acquis qui pourraient lui servir pour résoudre. Mentionnons qu'il en va de même pour mémoriser, l'élève doit d'abord avoir le projet de retrouver dans l'avenir quelque chose. Quand l'enfant est informé du projet, on lui donne la structure du geste à poser et on lui laisse le temps d'effectuer ce travail mental. M. de La Garanderie ne nomme pas exactement encore ainsi ces concepts dans Pédagogie des moyens d'apprendre, mais comme il a déjà affirmé que donner les gestes mentaux aux enfants c'est faire de la pédagogie de sens... Nous nous sommes permis de pousser plus avant ces précisions puisqu'il les décrit dans plusieurs ouvrages particulièrement dans Critique de la raison pédagogique.

Vous trouverez sous l'onglet, la gestion mentale, Extraits choisis, le fruit de notre travail sur le livre Pédagogie des moyens d'apprendre. Ayant en tête l'idée de pouvoir rendre le matériel que nous produisons pratique et utile, vous retrouverez dans ces Extraits choisis les principales phrases-clés et définitions. Elles sont paginées en référence au livre de manière à pouvoir y référer pour plus de détails sur un élément en particulier.

Pour conclure, nous terminons sur ces bons mots de M. Antoine de La Garanderie que nous voudrions bien voir se réaliser de plus en plus en plus...

« L'enseignant ne devrait pas que passer des contenus, il devrait plutôt s'acharner à passer les moyens de s'approprier les contenus. »

INTRODUCTION AU... GESTE D’IMAGINATION CRÉATRICE

par Diane Larivière

Pédagogie de l’imagination créatrice
IN COMPRENDRE ET IMAGINER
Éd.Bayard 1987
L’acte d’imagination créatrice
IN CRITIQUE DE LA RAISON PÉDAGOGIQUE
Éd.Nathan 1997

Avant d'amorcer ce travail sur la pédagogie de l'imagination créatrice, il convient de préciser que la vie mentale n'est pas faite de compartiments fermés ni de gestes discontinus. L'attention, la mémorisation, la réflexion, la compréhension tout comme l'imagination créatrice sont des gestes mentaux qui sont plus que reliés par des interfaces; ils s'interpénètrent et se rencontrent dans la complexité des itinéraires mentaux. Ils ont comme points communs de se nourrir d'évocations et d'être mus par des projets que l'on peut décrire. La façon particulière dont chaque individu établit son rapport au réel imprègne ses habitudes évocatives. L'éducateur gagnerait à en tenir compte dans son mode d'enseignement, quelque soit la notion qu'il désire transmettre ou l'acte qu'il souhaite faire poser à l'élève. Il devra prévoir des temps d'évocation et mettre l'élève en projet à différents moments du processus d'apprentissage. D'ailleurs, Antoine de La Garanderie répète souvent que c'est le projet d'évoquer qui est la source des activités cognitives.

Ce résumé présentera donc le geste d'imagination créatrice autour de deux concepts centraux en gestion mentale: l'évocation et les projets . En fait, ce sont les principaux instruments réellement pédagogiques dont l'éducateur dispose pour aider l'enfant à rendre sa gestion mentale plus efficace. Dans le cadre d'une pédagogie de l'imagination créatrice, le rôle de l'éducateur s'oriente plus particulièrement sur le fait de faire naître chez l'élève la perspective d'une œuvre personnelle. Nous tenterons au fil de ce travail d'illustrer comment l'éducateur peut y arriver en présentant quelques unes des conséquences et des propositions pédagogiques élaborées par Antoine de La Garanderie dans son livre Comprendre et imaginer.

Nous insistons pour mentionner que dans son livre M. de La Garanderie explique clairement les fondements philosophiques de son approche, pose les liens entre les différents concepts et illustre le tout de moult exemples, alors que le présent travail a pour objectif de dresser un résumé-synthèse de la dynamique de l'imagination. Mais attention:

« Le simple n'est jamais que le simplifié, sitôt qu'on le sonde avec l'intention d'en dégager l'ordre qui s'y cache. » (Comprendre et imaginer, p.81)

Les évocations

La source de la vie mentale, c'est l'image. Que l'enfant soit très ou peu stimulé, il développe l'habitude de se donner des images visuelles ou auditives. Rare sont ceux qui demeureront en perception, qui n'évoqueront pas (mais parmi ceux qui évoquent, il y a les élèves qui n'ont pas un "projet de sens" approprié à la tâche). Toutefois lorsqu'on aborde le thème de l'imagination créatrice, on saisit rapidement que les possibilités des jeux d'associations et de combinaisons se multiplient si l'enfant dispose déjà d'un foisonnement d'images mentales dans sa tête. Pour favoriser la mise en place d'une banque d'images essentielle à la mobilité mentale et laisser courir des évocations vagabondes, une des prémisses est de d'abord nourrir les cinq sens, d'offrir un milieu riche de signification.

Les formes évocatives
Que l'individu ait des habitudes évocatives visuelles ou auditives (l'une n'excluant pas l'autre, précisons-le encore), les images qu'il se donne peuvent prendre deux formes: la forme évocative de troisième personne et la forme évocative de première personne.

La troisième personne est la forme évocative où l'individu a l'habitude de se redonner le modèle (l'objet de perception) le plus fidèlement possible, sans s'imaginer en train de faire, sans s'inclure dans ses évocations, sans les transformer. Ils ont des habitudes mentales d'évocation reproductrices ou répétitives. Voici deux situations illustrant des exemples d'élèves ayant des évocations de troisième personne:
- Un élève en évocations auditives se répète les données d'un problème telles qu'il les lit.

- Un élève en évocations visuelles revoit fidèlement les descriptions d'un roman qu'il lit.

La forme évocative sera dite de première personne si c'est l'individu qui devient le corps du modèle, s'il utilise ses propres mots ou ses propres images pour se redonner le modèle. Voici des situations semblables illustrant des exemples d'élèves ayant, cette fois, des évocations de première personne:
- Un élève en évocations auditives s'explique les données d'un problème dans ses mots, se traduit.

- Un autre élève en évocations visuelles, lit un roman et se voit dans la peau du personnage.

Lorsque l'on pense à l'apport personnel que suppose l'imagination créatrice, on peut considérer le rôle majeur de l'image de soi dans l'acte de créer. La nécessité de se donner des évocations de première personne s'impose pour faire preuve d'imagination. Pour favoriser le développement d'images de première personne, il convient tant pour les parents que pour les éducateurs d'adopter une attitude de reconnaissance positive de l'enfant, d'offrir un visage accueillant en regard des gestes qu'il tente de poser. Cet accueil des actions de l'enfant, de ses initiatives, lui permet de développer une "image active" de lui-même. Si l'attitude d'accueil favorise le développement d'une forme évocative de première personne, il demeure que la troisième personne est aussi importante dans le développement de l'imagination. M. de La Garanderie nous démontre bien que l'imagination tant re-productrice que créatrice sont inséparables. A l'aide d'un exemple détaillé et complet d'un joueur de tennis apprenant à servir, Antoine de La Garanderie illustre dans son ouvrage les rôles que jouent l'imagination reproductrice et l'imagination créatrice dans l'acte d'apprentissage, les difficultés respectives que peuvent entraîner ces deux méthodologies mentales de re-producteurs et de transformateurs ainsi que les propositions pédagogiques correspondantes.

Nous venons de présenter succinctement les évocations et les formes évocatives lesquelles sont en quelque sorte les matériaux de base de la vie mentale. Nous verrons maintenant comment elles peuvent être mises à profit dans le geste d'imagination à travers la notion de projet.

Les projets d'imagination

À l'origine de tout geste ou acte posé, il y a un projet. Ainsi lorsque l'on se verse un verre d'eau, il y a à la base le projet, conscient ou non, de se verser le verre d'eau. Il en va de même avec le projet d'imagination. Avoir de l'imagination, c'est avoir l'habitude mentale d'évoquer pour produire personnellement, de viser une métamorphose des objets perçus et des évocations que l'on s'en fait. De plus, pour faire preuve d'imagination, c'est au moment de la perception qu'il faut:
"…mettre dans son projet celui de pouvoir intégrer à sa façon les données de la perception, en les rattachant à des acquis que l'on a dans sa tête, en leur donnant un ordre personnel, en les modifiant pour tester les "sens" d'intelligibilité qu'elles peuvent connoter."
(Comprendre et imaginer, p.98)

Comme on le voit, une partie du projet d'imagination comporte un esprit d'ouverture à l'inédit, mais une autre partie importante également comporte une évaluation, un jugement: est-ce valable (vrai, beau, utile) ?
Antoine de La Garanderie a cherché à clarifier la nature du projet d'imagination créatrice qu'il trouve trop vaste et a dégagé, de ses nombreux dialogues pédagogiques, le projet de découverte et le projet d'invention.

Projets de découverte ou d'invention ?

Antoine de La Garanderie distingue la découverte de l'invention et démontre bien comment l'imagination créatrice peut avoir deux finalités différentes, selon le mode de rapport de l'individu au réel. Les découvreurs regardent le monde pour découvrir une réalité cachée. Pasteur n'a pas inventé les microbes! Ils cherchent les signes sensibles de la réalité et visent le réalisé inaperçu. Les inventeurs ont un tout autre projet de sens. Ils recherchent une possibilité de réalité et visent le réalisable. Lorsqu'on invente, on produit quelque chose que personne n'avait vu ou entendu avant. Papin a inventé la machine à vapeur.

On devine qu'une pédagogie de l'imagination créatrice devra considérer ces deux dimensions de la créativité. M. de la Garanderie insiste régulièrement sur ce point: il ne s'agit pas de catégoriser les élèves, mais de leur offrir des instruments pour leur permettre de mieux s'adapter aux exigences du monde. Trouver un certain équilibre entre les deux formes d'imagination pourra favoriser plusieurs types d'apprentissage notamment l'acquisition de gestes corporels.

Aussi, la portée de cet ouvrage ne se veut pas limitative. Il faudra référer à Critique de la raison pédagogique où M. de La Garanderie a davantage apporté de précisions quant au projet de sens et aux structures de projet de sens de ce geste mental. Dans Critique de la raison pédagogique les caractéristiques présentées se veulent des points de repère, des grandes lignes que l'on rencontre fréquemment chez ces deux styles d'appréhension du réel. "Qu'il soit cependant bien clair que les "traits" qui apparaîtront ne supposent aucune typologie". (Comprendre et imaginer, p.124.)

Le cerveau est la machine la plus complexe qui soit, presque toutes les combinaisons sont possibles et le développement de nouvelles habitudes fait partie de ses possibilités.

L'INTUITION « REVISITED »

par Diane Larivière
Synthèse de l’ouvrage d’Antoine de La Garanderie « L’intuition » « de la perception au concept », Éd.Bayard 1995.

Il est toujours audacieux de résumer un livre d’Antoine de La Garanderie ; c’est un exercice qui s’effectue au risque de pervertir une pensée complexe et déjà si bien synthétisée qu’il nous semble qu’il n’y a rien à retrancher aux propos de ce pédagogue remarquable. Aussi est-ce avec humilité et surtout avec le désir de susciter le goût de se référer à l’ouvrage lui-même que nous soumettons cette présente synthèse.

L’auteur se soucie, à travers cet ouvrage, de décrire en détails « comment les actes de l’activité de connaissance vivent dans la conscience ». (p. 5) En effet, après avoir présenté dans des ouvrages précédents ce qu’il désigne comme étant les gestes mentaux (soit les actes d’attention, de mémorisation, de compréhension, de réflexion et d’imagination créatrice), il considère essentiel de se pencher sur les péripéties de leur accomplissement. À ce titre, cet ouvrage devient en fait un ciment qui joint ces différents éléments pour opérationnaliser et mieux appréhender le processus d’édification de la connaissance.

L’Homme ; un être de sens

D’entrée de jeu, l’auteur insiste sur le fait que la conscience n’est pas simplement passive, en attente d’être remplie de sens telle une cruche. Au contraire, la conscience jouerait un rôle résolument actif dans la production de l’intuition de sens. Aussi, plutôt que de l’assimiler stérilement à un simple don, voire à un miracle, il y aurait lieu d’y reconnaître un champ potentiel d’intervention remarquable auprès de tous ceux et celles qui s’inscrivent dans une quête de connaissance ou dans un processus d’apprentissage.

« Le sens ne s’éveille et ne vit que par l’évocation. » (p. 8) À ce titre, la conscience doit d’une façon ou d’une autre se placer en situation de projet d’évocation des êtres ou des choses qu’elle parvient à percevoir. Or, l’on ne parvient pas tous à percevoir la même chose et surtout de la même façon. C’est pourquoi Antoine de La Garanderie s’attache dans un premier temps à décrire l’activité perceptive comme telle avant même de passer au chapitre suivant qui se penchera sur l’activité conceptuelle proprement dite.

L’activité perceptive

Lorsque l’on cherche à décrire d’une façon nuancée ce en quoi consiste l’activité perceptive, on se retrouve d’une certaine manière à effectuer une analyse phénoménologique de l’attention. Or, selon les habitudes d’évocation auxquelles l’individu tend à recourir (lesquelles peuvent être acquises), il accédera à un type et un mode de compréhension qui adoptera la teinte de la spécificité de l’habitude à laquelle il s’est référé.

Ainsi, l’auteur s’attarde à décrire différents tenants et aboutissants des habitudes d’évocation visuelle et auditive (verbale) auxquelles il avait déjà fait référence dans des ouvrages précédents (entre autres dans Profils pédagogiques).
Il explicite la tendance de celui dont l’habitude évocative est surtout visuelle de porter son regard sur la totalité, laissant de côté les détails, dans un premier temps. Il ne les considérera que dans un deuxième temps pour meubler le cadre d’ensemble qu’il s’est donné. Pour lui, le sens de sa perception s’acquiert dans et par l’espace lequel constitue son matériau privilégié pour élaborer son intuition de sens. Par contre, celui dont l’habitude évocative est surtout auditive considérera dans un premier temps les détails. Il projette de déceler à travers les détails la validation de son projet de sens. Pour ce, il tendra à dresser un itinéraire chronologique qui organisera sa perception. À ce titre, la temporalité plus que l’espace procurera à celui dont les habitudes sont plutôt auditives (verbales) le moyen de constituer son intuition de sens.

Soulignons que l’intuition de sens risque de demeurer enfermée dans le champ spécifique où l’activité perceptive s’exerce. Pour contrer cela, l’auteur indique quelques facteurs découlant de ce qu’il désigne une mauvaise gestion de l’activité perceptive. Il fait entre autres référence à des évocations parasites, des évocations brouillées par une trop grande émotivité, par l’absence ou la pauvreté du projet évocatif découlant de l’activité perceptive. À travers ces mises en garde, il parvient à démontrer que la modalité de perception, même si elle participe aux modalités d’évocation, constitue une modalité qu’il convient de distinguer. L’activité perceptive décrite avec nuances sert de fondement à l’auteur pour, dans le chapitre suivant, élaborer sur l’activité conceptuelle comme telle.

L’activité conceptuelle

L’activité conceptuelle aspire à dépasser « l’intelligibilité directement vivante » de l’activité perceptive en comparant, en estimant les similitudes et les différences de ces évoqués visuels, auditifs ou verbaux de départ . Ainsi, il devient possible de percevoir intellectuellement (et non seulement sensiblement) ces évoqués.

Ici encore, selon que l’on évoque surtout visuellement ou verbalement, l’on ne procédera pas de la même manière. Ainsi, celui qui évoque visuellement généralise d’abord. Il cherche à se donner un cadre, une certaine vue panoramique du concept à saisir. Il aura recours à l’espace comme lieu de sens de généralité grâce à l’homogénéité qu’elle lui procure. Celui qui évoque plutôt verbalement, abstraira d’abord pour se donner un fil pouvant le conduire à la généralisation. Il donnera un sens à partir des rapports séquentiels relatifs à l’histoire de ce qu’il veut concevoir. Ainsi, pour lui, le temps constitue une référence lui procurant une hétérogénéité qui à ses yeux revêt un sens d’abstraction.

Ainsi, l’espace et le temps constituent des lieux d’incarnation, deux formes d’intuition de sens, le premier utilisant des images visuelles, le second la parole. Les deux sont nécessaires à la compréhension. La conscience qui utilise avant tout l’espace pour comprendre, se donne la chance de récolter beaucoup d’éléments obtenant ainsi une vue d’ensemble qui sera son intuition de sens. La conscience qui utilise dans un premier temps le cadre du temps dans le but de comprendre, se donne la chance d'orienter sa récolte obtenant ainsi la potentialité d’un parcours. L’auteur nous donne à titre d'exemples, Platon qui donne à sa pensée pour lieu de sens le temps alors qu’Einstein se référait davantage dans et par l’espace.

Pour l’éducateur, il devient impérieux de procéder en tenant compte de ces deux formes par lesquelles on parvient à conceptualiser (de même qu’à prendre conscience de la sienne propre). Ainsi, il importe de ne pas demeurer prisonnier de l’une ou l’autre de ces habitudes ; en fait, « l’habitude de donner forme spatiale ou temporelle à ses évocations se contracte très tôt dans la conscience de l’enfant. » (p.46) Les conséquences pédagogiques qui en découlent sont centrales pour l’enseignant. À partir de cette connaissance de ce que nécessite la constitution d’une intuition de sens et de son importance, il devient possible de décrire d’une façon précise les diverses formes qui participent à l’activité cognitive dans son ensemble, de distinguer le moyen (le quo) et l’essence de la chose, de l’être (le quod).

Pour l’auteur, il s’agit là du sens des concepts fondamentaux de l’activité cognitive qui font l’objet du chapitre suivant.

Le projet de sens versus le « don »

Dans ce chapitre, Antoine de La Garanderie remet en cause (comme il le fait dans ses autres ouvrages) cette notion du « don » et propose plutôt comme alternative le « projet de se donner les moyens d’accéder directement au sens » (p.58). En fait, ce serait à travers la structure des projets de sens, et non pas une simple opération magique dont ne bénéficieraient que quelques privilégiés que proviendrait l’intuition de sens (ou du sens) des choses et des êtres. L’enseignant qui a conscience de cela peut alors rendre ce processus qui apparaît d’ordre métaphysique, intelligible et même opératoire. Après tout, une finalité ultime du beau et du vrai n’habiterait pas dans les choses mais devient présente à travers l’intuition de sens qui habite celui ou celle qui prend contact avec elles.

L’auteur présente plusieurs impacts découlant de ces constatations. Certains de ceux-ci nous sont apparus particulièrement révélateurs. Nous pensons entre autres à cette remarque relative à la détermination des projets de sens : « Il s’agit d’un acte d’intention et non d’une intention d’acte » (p.65) Autrement dit, dans le processus de mise en œuvre, l’intuition de sens n’est plus une simple représentation mais une évocation active, voulue et porteuse d’une action préliminaire et motrice de l’acte lui-même qui sera posé.

Ce faisant, Monsieur de La Garanderie tient à spécifier qu’il écarte toute transcendance dans ce processus, car il cherche à décrire et non à construire une situation de sens. La compréhension que se donnera l’individu sera celle de sa séquentialité pour celui qui puise dans le temps ou dans sa globalité pour celui qui se réfère surtout spatialement. À travers ses illustrations des rôles que peuvent jouer l’espace et le temps comme lieux de sens, l’auteur espère avoir assez clairement fait valoir son point de vue, même s’il va à l’encontre d’une conception qui préserve les privilèges d’une classe dominante qui s’appuie même sur des tests pour corroborer leur point de vue protectionniste en regard des prétendus acquis de supériorité d’intelligence d’une élite avant tout privilégiée économiquement…

L’auteur, prenant appui sur ce lien étroit entre les projets de sens et les habitudes évocatives qui à ses yeux caractérisent l’acte de compréhension, s’applique à décrire d’autres actes fondamentaux de la connaissance que sont la réflexion, la mémorisation et l’imagination créatrice. Ces descriptions sont assez synthétisées et il est possible que le lecteur gagne à s’être auparavant sensibilisé à ces actes caractérisant le processus cognitif à travers d’autres ouvrages d’Antoine de La Garanderie tels Pour une pédagogie de l’intelligence ou Pédagogie des moyens d’apprendre.

Nous avons particulièrement apprécié cet effort descriptif des deux structures de créativité intentionnelles. Une première consistant à découvrir des sens qui habitent les choses que l’intentionnalité de la conscience n’aurait pas encore décelées, une seconde structure par laquelle l’intelligibilité du monde peut être prolongée par une imagination inventive qui utilise et regroupe les forces matérielles pour des fins profitables pour l’homme. C’est là une autre illustration de la distinction entre le découvreur et l’inventeur, déjà posée en 1987 dans Comprendre et imaginer. En ce qui nous concerne, la définition de ces structures se trouve davantage précisée ici, car elles sont mises en relation avec des structures caractéristiques de d’autres gestes mentaux, notamment celui de mémorisation (pp.80-81, 84-85).

De plus, à travers ces descriptions, Antoine de La Garanderie, estime avoir nettement fait valoir que la prise de conscience des « projets de sens » constitue une avancée tant au niveau de la compréhension de l’activité cognitive que pour l’efficacité de la pédagogie puisqu’elle permet de se dégager d’une vision pédagogique psychologisante ou trop liée au seul conditionnement.

Le pouvoir de sens et le sens de la limite

La formation initiale en philosophie de l’auteur ressort nettement ici et est mise à profit pour conclure cet ouvrage. En effet, on ne peut parler de pouvoir, sans parler de limites. Si le temps et l’espace constituent des potentialités formidables, elles en ont également des limites respectives. « L’espace dissout le temps par l’analyse, le temps contracte l’espace par la synthèse. » (p.99) Face à cette finitude, notre quête de sens devra s’appuyer sur un plus-grand-que-soi, en fait sur la foi, l’espérance et une recherche de fidélité à sa propre conscience des choses.

Par le partage de telles considérations, Antoine de La Garanderie, malgré sa conscience aiguë de plusieurs phénomènes, ouvre la place à cet infini devant lequel nous reprenons tous notre place humaine, limitée, mais de ce fait perfectible (rendant possible le projet). Il témoigne ainsi du fait que l’expert est en bout de ligne celui qui parvient à intuitionner l’étendue de ce qui lui reste à connaître. C’est aussi une façon de nous signifier l’humilité dans l’exercice du métier d’enseignant ; de se rappeler que notre rôle consiste à faire émerger les potentialités, mais qu’en bout de ligne, c’est l’élève qui fait la route.